La Pêcherie de Granville : Un patrimoine ancestral et un écosystème précieux à préserver


La pêcherie du Plat Gousset à Granville

A l'occasion du Festival des Voiles de Travail qui aura lieu du 20 au 24 août à Granville, et auquel je participerai sous le chapiteau de l'AVGG  (Association des Vieux Gréements Granvillais) avec une animation autour du Plancton, découvrons ensemble un écosystème d’une grande richesse et un témoin précieux du patrimoine littoral : la pêcherie de la Tranchée.


1. Histoire et fonctionnement de la pêcherie

Située à Granville, en contrebas du Plat Gousset, la pêcherie est une structure ancestrale en pierres sèches qui se découvre à marée basse. Ce type de piège à poissons, dont le savoir-faire remonte au XVe siècle, est constitué de deux longs bras de pierre qui convergent en un V, orienté vers le large. Ce piège utilise la marée descendante pour retenir les poissons qui ont nagé à l'intérieur de la structure. Au bout du V, un goulet permettait l'installation d'un filet conique appelé "menise", ce qui a donné son nom à la méthode de pêche traditionnelle. Cette technique, la pêche à la menise, est une pratique discrète et efficace où les poissons sont doucement prélevés par l'homme. Les espèces capturées dépendent des saisons et des marées, et incluent des mulets, des bars, des maquereaux, des soles,  des sprats, des crustacés comme les crevettes et les araignées de mer.


Pêche à la menise à Granville (début XXe siècle)


La "goulotte" ou "entonnoir" de la pêcherie (actuellement)

2. Intérêts écologiques et biodiversité

Loin d'être un simple piège, la pêcherie de Granville fonctionne comme une "petite réserve naturelle intertidale". Ses murets de pierre offrent des micro-habitats et des abris essentiels pour de nombreuses espèces comme les jeunes poissons, les crustacés et les algues. Elle joue un rôle de nurserie pour les juvéniles de poissons et de crustacés en les protégeant des courants et des prédateurs. C'est aussi un refuge pour la faune marine, y compris les espèces fixées (moules, huîtres) et mobiles (crabes, crevettes, calmars...). De plus, les pierres de la structure servent de substrat riche pour la flore et le microplancton, attirant le plancton et les larves qui s'y fixent. Les zones intertidales de la pêcherie sont de véritables zones de nurserie où le phytoplancton et le zooplancton jouent un rôle crucial en tant que base de la chaîne alimentaire pour les espèces qui s'y réfugient. Enfin, les mollusques filtreurs fixés sur les pierres améliorent la qualité de l'eau locale.

3. Fragilité et menaces

Bien qu'elles soient écologiquement importantes, les pêcheries sont des écosystèmes fragiles et menacés. L'entretien abandonné, les tempêtes, la pression touristique et les dépôts de sédiments peuvent dégrader ces structures. Beaucoup de pêcheries le long du littoral normand ont été abandonnées à cause de l'ensablement, de la destruction, de l'évolution des techniques de pêche et de la perte de savoir-faire.

4. Sauvegarde et restauration

La préservation de la pêcherie du Plat Gousset permet de maintenir les conditions favorables à la vie du plancton côtier et de valoriser un patrimoine marin ancien. Des actions de restauration douce, comme la remise en place des pierres, la limitation de la végétation invasive, et le balisage pédagogique, pourraient protéger l'écosystème tout en sensibilisant le public. Des associations comme les Amis de la pêcherie de la Tranchée se mobilisent pour restaurer ces structures et transmettre ce patrimoine maritime en organisant des visites guidées et des démonstrations de pêche. La pêche à la menise incarne une relation durable avec l'environnement marin, en prenant le temps d'observer la mer et d'utiliser ses rythmes au lieu de les dominer.

5. Observations de planctons au niveau de la pêcherie

Les prélèvements ont été effectués à marée basse avec le filet à 300 µm pour privilégier l'échantillonnage de zooplancton, organismes généralement plus gros que les organismes phytoplanctoniques.

La vue d'ensemble au grossissement x40 donne un aperçu des organismes majoritaires dans les prélèvements : diatomées du genre  Chaetoceros pour le phytoplancton, copépodes (adultes et larves) pour le zooplancton.


Copépodes (adulte et larve) et nombreuses diatomées (MO x40)

. Phytoplancton :

Le
phytoplancton regroupe des micro-algues flottantes (diatomées, dinoflagellés…) qui utilisent la lumière du soleil pour la photosynthèse.
Ce sont les plantes des océans : elles produisent environ la moitié de l’oxygène de notre planète et constituent la base de la chaîne alimentaire marine.
Elles fixent aussi du carbone atmosphérique, jouant un rôle majeur dans la régulation du climat.

Diatomée Striatella sp.

Diatomée Chaetoceros sp.

Diatomées

Diatomées

Diatomée

 
Un dinoflagellé du genre Protoperidinium sp.

Protoperidinium sp. en mouvement

Les dinoflagellés sont des protistes, unicellulairesacteurs clés du plancton, à la fois producteurs et consommateurs, parfois alliés (symbioses), parfois redoutés (toxines), mais toujours fascinants par leur diversité de formes et de modes de vie.
Protoperidinium sp. est un dinoflagellé carnivore, reconnaissable à ses formes anguleuses et épineuses, qui joue un rôle discret mais crucial dans la régulation des communautés phytoplanctoniques.

. Zooplancton :

Le zooplancton rassemble de minuscules animaux flottants : crustacés (copépodes, krill), larves de poissons et mollusques, méduses microscopiques, protozoaires…
Ils se nourrissent du phytoplancton ou d’autres petits organismes.

Ce sont les consommateurs primaires des océans, indispensables pour nourrir les poissons, les oiseaux marins et même les baleines.


Les copépodes représentent une clé de voûte du plancton : sans eux, la transmission d’énergie entre le phytoplancton et les grands animaux marins serait impossible.

Copépodes observés au MO x40

🤔 Le saviez-vous ?

Les copépodes sont considérés comme les animaux les plus abondants du globe, devant les insectes si l’on parle d’environnements marins.

Poids estimé :
Leur biomasse totale est évaluée à plusieurs centaines de millions de tonnes. Certaines études avancent que les copépodes représentent le groupe animal le plus lourd de la planète, avec une biomasse supérieure à celle de tous les poissons réunis.

Océans
:
Ils constituent jusqu’à 70 % du zooplancton en nombre d’individus.
On estime que la production annuelle de copépodes dans les océans est équivalente à celle de toutes les pêches humaines mondiales réunies.

Rôle planétaire :
En broutant le phytoplancton, ils recyclent une énorme quantité de carbone.
Leurs déjections (« pellets fécaux ») coulent vers le fond, jouant un rôle crucial dans la pompe biologique à carbone, contribuant à piéger le CO₂ dans les profondeurs océaniques.


Les calmars sont des céphalopodes (comme les seiches et les poulpes), animaux marins très mobiles qui se déplacent par réaction à jet.
Une partie de leur cycle de vie est planctonique, ce sont les "bébés" ou larves.


Larve de calmar en bord de pêcherie de la Tranchée
(Smartphone en mode vidéo)

Cette larve de calmar a été récoltée avec un filet à plancton de maille 300 µm.
Estimation de la taille : environ 3 mm (taille qui sépare 2 "ronds" sur le papier absorbant).

Observez les tâches colorées à la surface du corps. Ce sont les chromatophores, cellules pigmentaires de la peau, contrôlées par de petits muscles. Ils permettent de changer de couleur instantanément.
Rôles : camouflage, communication entre calmars, intimidation des prédateurs.


La même larve de calmar (MO x40)


Œufs de calmar

🤔 Le saviez-vous ?

🐙 Caractéristiques générales de la ponte de calmar
  • Forme : les femelles pondent des manchons gélatineux allongés, fusiformes, ressemblant à des « doigts » translucides.

  • Taille : chaque manchon mesure 10 à 30 cm de long pour 1 à 2 cm de diamètre.

  • Aspect : texture gélatineuse, translucide à blanchâtre, contenant des centaines d’œufs disposés en chapelet à l’intérieur.

  • Nombre : une femelle pond une vingtaine à plusieurs dizaines de manchons, souvent fixés ensemble.

  • Disposition : les manchons sont attachés en touffes au substrat (fonds sableux, graviers, herbiers de zostères, coquilles mortes, cordages).



Crevette caméléon (Praunus flexuosus)

La même crevette caméléon (Praunus flexuosus)

Cette petite crevette verte (crevette caméléon), nom scientifique Praunus flexuosus est capable de changer de couleur et de se camoufler parmi les algues ou les zostères.
On l'observe souvent en compagnie d'autres mysidacés. Taille : environ 10 mm.


Mysidacé (crustacé) au MOx40


Autre espèce de Mysidacé au mini-microscope (loupe)


Vue de dessus, partie antérieure montrant les yeux écartés

Les mysidacés (ou Mysida) sont un ordre de petits crustacés marins proches des crevettes. On les appelle parfois "crevettes-opossums", car les femelles possèdent une poche incubatrice sous l’abdomen (le marsupium) où elles gardent leurs œufs et leurs jeunes.
Les yeux composés sont bien développés, portés sur des pédoncules mobiles.


Larve de poisson (à déterminer) 

Conclusion

La pêcherie de Granville n’est pas seulement un vestige du patrimoine maritime : c’est aussi un refuge pour la vie marine. Ses pierres retiennent l’eau à marée basse et créent de petits bassins où se développent algues, larves, coquillages, poissons juvéniles… et surtout le plancton, qui nourrit toute cette biodiversité.
Préserver la pêcherie, c’est donc protéger à la fois un témoignage historique et un réservoir de vie, indispensable à l’équilibre de la Manche.

On se lasse de tout, sauf d’apprendre...



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