La Groseille de mer, un organisme planctonique fascinant

Dernière MAJ : le 22/05/2025

Ma première rencontre avec cet organisme date d’un séjour de découverte avec un groupe d’élèves de 6e en mai dernier (2024). Trois jours sur l'île de Tatihou près de Saint-Vaast-la-Hougue en bord de Manche. 



J’avais apporté un grand filet servant à nettoyer la surface des piscines pour espérer récolter un peu de plancton. Un relevé d’épuisette présentait une petite bille gélatineuse qui m'intriguait. Les mailles trop larges ne retenaient rien d’autre…Je débutait alors en planctonologie 😏. Le laboratoire de biologie de l’île m’informait alors du type d’organisme. Ce n’était pas un bébé méduse, mais une groseille de mer.



La groseille de mer, ici Pleurobrachia pileus appartient à la famille des cténophores. Elle tire son nom de sa forme arrondie et transparente, qui rappelle effectivement une groseille. Souvent observée en surface et confondue avec les méduses, la groseille de mer est un élément important de la chaîne alimentaire marine.

1. Phylogénie : la place de Pleurobrachia pileus dans le règne animal

Arbre phylogénétique simplifié :


├── Domaine : Eucaryotes

    └── Règne : Animalia (Animaux)

        ├── Sous-règne : Parazoaires

        │   └── Éponges (Porifères)

        ├── Sous-règne : Eumétazoaires (Vrais animaux)

            ├── Groupe : Cnidaires

            │   └── Méduses, coraux, anémones

            ├── Groupe : Cténophores (Groseilles de mer)

            │   └── *Exemple : Pleurobrachia pileus*

            └── Bilatériens

                ├── Protostomiens

                │   ├── Arthropodes (insectes, crustacés)

                │   ├── Mollusques (escargots, pieuvres)

                │   └── Annélides (vers segmentés)

                └── Deutérostomiens

                    ├── Échinodermes (étoiles de mer, oursins)

                    └── Vertébrés (poissons, mammifères, oiseaux)


2. Répartition géographique

  • Les groseilles de mer sont des organismes marins planctoniques, vivant principalement dans la colonne d'eau.
  • Pleurobrachia pileus est une espèce bien adaptée aux eaux tempérées et froides des régions côtières et océaniques de l'Atlantique Nord, de la Manche et de la mer Baltique avec une distribution influencée par la température, la salinité et les courants. 

Ma deuxième rencontre a eu lieu au bord de la Manche à Trouville-sur-Mer en octobre dernier.

Mon nouveau filet à plancton de maille 180 µm me permet maintenant de piéger une multitude de groseilles de mer.



Pour comprendre leur façon de se déplacer dans la colonne d’eau il faut étudier de plus près leur anatomie.

3. Anatomie de Pleurobrachia pileus

. Les peignes ciliés

Pleurobrachia possède huit rangées de structures ciliées appelées peignes (ou ctènes).
Chaque peigne est constitué de milliers de cils alignés en bandes.

. Battement des cils

Les cils des peignes battent de manière coordonnée pour produire une propulsion dans l'eau.
Le battement se fait dans une direction, permettant à l’animal de nager soit vers l’avant, soit vers l’arrière, selon l’orientation du battement.

. Mouvement doux et contrôlé

Le mouvement produit est fluide et ondulatoire, ce qui permet à Pleurobrachia de se déplacer lentement dans l’eau, souvent en planant.

Ce mode de déplacement est très économe en énergie et adapté à leur mode de vie planctonique.
La vidéo ci-dessous a été réalisée sous microscope optique avec le plus petit grossissement (x40).
La groseille de mer était sans doute un bébé au vu de la taille. La méthodologie présentée dans l'article précédent permet de l'estimer  à environ 2 mm. La groseille de mer présentée dans la main de l'élève de 6e en début d'article est plutôt autour de 20 mm.




. Rôle de la statocyste

Une structure spécialisée appelée statocyste, située près de l’aboral (opposé à la bouche), joue un rôle crucial dans l'équilibre.

Il comprend au moins un statolithe solide entouré de cellules ciliées (cils sensoriels).
La statocyste aide à coordonner le mouvement des cils pour maintenir l’orientation de l’animal dans l'eau (visible en bas à droite sur la photo ci-dessous).

On peut signaler des similitudes intéressantes entre statolithes et otolithes des humains :

. Rôle principal : l'équilibre et l'orientation

Les statolithes des cténophores et les otolithes humains sont des structures denses qui répondent à la gravité, permettant à l'organisme de percevoir son orientation dans l'espace.

Ces deux types de structures exercent une pression mécanique sur des cellules ciliées (cils sensoriels) qui détectent ces mouvements et envoient des signaux au système nerveux pour ajuster la posture ou le mouvement.

. Interaction avec les cils sensoriels

Chez les cténophores, les statolithes appuient sur des cils sensoriels dans le statocyste, qui contrôlent ensuite le mouvement des ctènes pour rétablir l'équilibre.

Chez les humains, les otolithes (dans l'utricule et le saccule de l'oreille interne) appuient sur des cils sensoriels en réponse aux mouvements linéaires ou à l'inclinaison de la tête, déclenchant une réponse corrective via le système vestibulaire.

. Réponse à la gravité

Chez les humains, les otolithes (dans l'utricule et le saccule de l'oreille interne) appuient sur des cils sensoriels en réponse aux mouvements linéaires ou à l'inclinaison de la tête, déclenchant une réponse corrective via le système vestibulaire.

Dans les deux cas, ces structures permettent à l'organisme de détecter la gravité et de maintenir son orientation, qu'il s'agisse de nager dans l'eau ou de rester debout sur terre.

. Déplacement passif

En plus de leur propulsion active, ces cténophores dérivent souvent avec les courants marins, ce qui est typique pour les organismes planctoniques.


4. Prédation

Les groseilles de mer capturent leurs proies grâce à un système ingénieux qui diffère de celui des méduses. Contrairement à ces dernières, elles ne possèdent pas de cellules urticantes (cnidocytes), mais utilisent des structures collantes appelées colloblastes. Voici le processus en détail :

  1. Les tentacules et les colloblastes :
    Les groseilles de mer possèdent deux longs tentacules rétractables qui sont tapissés de colloblastes. Ces cellules sécrètent une substance collante qui piège les petites proies, comme des larves, des crustacés planctoniques ou des poissons juvéniles, lorsqu'elles entrent en contact.

  2. Déploiement des tentacules :
    Les tentacules sont souvent étendus dans l'eau pour maximiser la surface de capture. Ils forment une sorte de filet invisible pour attraper les proies qui nagent ou dérivent dans leur direction.

  3. Enroulement et ingestion :
    Une fois qu'une proie est capturée, les tentacules se rétractent lentement pour amener la proie vers la bouche de l'animal. La proie est ensuite ingérée et digérée dans le tube digestif.

Les colloblastes sont bien visibles le long d'un des 2 tentacules

5. La reproduction chez Pleurobrachia pileus 

Pleurobrachia pileus est un cténophore hermaphrodite qui se reproduit de manière sexuée. Voici les principales étapes de son mode de reproduction :

  • Il possède à la fois des ovaires et des testicules, situés le long des canaux méridiens internes.

  • Les ovaires produisent des ovules, tandis que les testicules produisent des spermatozoïdes.

  • Ovaires et testicules : les gonades se trouvent dans les parois des canaux méridiens, qui sont des canaux longitudinaux situés sous les huit rangées de peignes (ctènes) du corps.

  • Chaque canal méridien présente généralement des gonades alternées sur toute sa longueur, avec des sections de tissu ovarien et de tissu testiculaire disposées de manière linéaire. Cela leur permet de produire à la fois des ovules et des spermatozoïdes pour la reproduction.

  • Les gamètes (ovules et spermatozoïdes) sont libérés dans l'eau par des ouvertures dans la paroi du corps, ce qui permet une fécondation externe dans l'eau environnante.

  • Cette configuration reflète l'organisation corporelle relativement simple des cténophores par rapport à des animaux plus complexes.

  • Cela se produit généralement en réponse à des signaux environnementaux, comme la température ou la lumière.

. Fécondation

  • Une fois dans l'eau, les spermatozoïdes rencontrent les ovules et la fécondation a lieu. Cela donne un zygote.

. Développement des larves

  • Le zygote se développe en une larve libre appelée cydippe.

  • Cette larve possède déjà les caractéristiques de base de l'adulte, notamment des rangées de peignes ciliés pour se déplacer.

. Métamorphose

  • La larve grandit et subit une métamorphose pour devenir un adulte.

  • Les organes reproducteurs commencent à se développer une fois que l'individu atteint la maturité.

Caractéristiques importantes

  • La reproduction est fortement dépendante des conditions environnementales pour maximiser les chances de succès.

  • Comme la fécondation est externe, elle repose sur la synchronisation entre individus pour libérer les gamètes en même temps.

  • Leur reproduction rapide, associée à leur capacité à produire des milliers d'œufs par jour dans des conditions favorables, leur permet de coloniser rapidement de nouveaux environnements.


6. La bioluminescence des groseilles de mer

Qu'est-ce que la bioluminescence ?

La bioluminescence est la capacité d'un organisme à produire de la lumière grâce à des réactions chimiques dans son corps. Chez les cténophores, cette lumière est souvent utilisée à des fins de défense ou pour perturber les prédateurs.

Comment les groseilles de mer produisent-elles de la lumière ?

Chez les groseilles de mer, la bioluminescence est produite par des cellules spécialisées appelées photocytes. Ces cellules contiennent des molécules comme la luciférine, qui, en présence d'une enzyme appelée luciférase, émet de la lumière lorsqu'elles interagissent avec de l'oxygène. La lumière émise est généralement bleu-vert, une couleur qui se propage bien dans l'eau marine.

À quoi sert la bioluminescence chez les groseilles de mer ?

  1. Défense contre les prédateurs : Lorsqu'elles sont dérangées ou attaquées, les groseilles de mer émettent de la lumière, ce qui peut effrayer ou distraire leurs prédateurs.

  2. Signalisation : Même si ce n'est pas leur fonction principale, la lumière peut parfois aider à signaler leur présence à d'autres organismes.

  3. Camouflage inversé (hypothèse) : La lumière bleue peut rendre les groseilles de mer moins visibles depuis le bas dans des eaux éclairées par la lumière lunaire ou stellaire.

Autres traits lumineux des groseilles de mer

En plus de la bioluminescence, les ctènes réfractent la lumière ambiante en créant des arcs-en-ciel scintillants, un effet distinct de leur bioluminescence. Il s'agit d'iridescence (ou irisation). Ces arcs-en-ciel sont purement dus à la réfraction et ne nécessitent pas de réactions chimiques.


Irisation chez la groseille de mer


Pour finir cet article sur Pleurobrachia pileus, je ne peux résister à l’idée de vous présenter une des incroyables planches dessinées par Ernst Haeckel né le 16 février 1834 à Potsdam et mort le 9 août 1919 à Iéna. C'était un biologiste, philosophe, artiste et libre penseur allemand.


Ernst Haeckel

Cette planche rassemble ses travaux sur Pleurobrachia pileus :


Je ne cesse de me demander comment E. Haeckel a pu réaliser de tels dessins aussi précis alors que les microscopes de l’époque étaient encore relativement rudimentaires et ne permettaient pas une observation aussi détaillée et claire des structures microscopiques. 

Cela soulève des questions sur la manière dont Haeckel combinait son talent artistique, son imagination et les informations disponibles pour représenter ces organismes de façon si esthétique et précise.



En savoir plus sur Pleurobrachia pineus :


On se lasse de tout, sauf d’apprendre...





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