Les vers de Roscoff : des "animalgues" observés au Plat Gousset à Granville


Mes fréquentes excursions sur la plage du Plat Gousset à Granville m'ont réservé de nombreuses surprises.
J'en garde quelques unes sous le coude, pour de prochains articles...😉

Depuis l'article sur le contenu d'un "bécher oublié" dans un coin de labo de SVT dans mon ancien lycée, je devais préparer un ou deux articles sur la photosynthèse, sujet essentiel dans le monde vivant et notamment dans l'eau, qu'elle soit douce ou salée.
En faisant des recherches sur les différentes façons d'aborder ce sujet si important et incontournable en SVT, j'ai trouvé dans un catalogue de matériel bien connu des professeurs de sciences, un kit pédagogique original pour aborder la photosynthèse et les relations mutualistes entre espèces. Je parlerais donc de ce kit en fin d'article.

1. Une découverte surprenante

En 2024, lors d'une exploration du rivage du Plat Gousset à Granville, j'ai observé d'étranges organismes verts dans de petites dépressions rocheuses. Intrigué par leur aspect et leur comportement, j'ai entrepris des recherches et des observations microscopiques. Après plusieurs discussions avec IA et des vérifications croisées, j'ai identifié ces êtres fascinants : il s'agit de vers plats photosynthétiques, communément appelés "vers de Roscoff" (Symsagittifera roscoffensis).

L'utilisation du microscope m'a permis ensuite de découvrir cet animal étrange, mi-animal, mi-algue...

Des traces vertes sur le sable...

Flaque de marée colonisée par des vers de Roscoff

2. Biologie des vers de Roscoff

Les vers de Roscoff sont de petits plathelminthes de quelques millimètres de long, d'une couleur verte caractéristique due à leur relation avec des algues unicellulaires du genre Tetraselmis. Ces algues vivent à l'intérieur des cellules du ver, leur fournissant des nutriments par photosynthèse.

Contrairement à la majorité des vers plats qui se nourrissent activement, Symsagittifera roscoffensis n'a pas de tube digestif fonctionnel (il l'a perdu au cours de son développement larvaire) : il tire toute son énergie des sucres produits par ses algues symbiotiques.

La relation entre les vers de Roscoff (Symsagittifera roscoffensis) et les micro-algues Tetraselmis convolutae est une symbiose mutualiste et non du commensalisme.

Les vers de Roscoff (Symsagittifera roscoffensis) :

Vers de Roscoff (MO x40)


Tête d'un ver de Roscoff (MO x100)

Remarquez bien le statocyste au milieu, il en sera question dans le paragraphe "4. Déplacement des vers de Roscoff" ci-dessous... 

La micro-algue Tetraselmis convolutae : 


Vers de Roscoff (MO x100)

Cette vidéo présente la partie antérieure, la tête du ver de Roscoff. (MO x400).

Pourquoi une symbiose mutualiste ?

  • Bénéfices pour le ver : Il obtient l’essentiel de sa nutrition grâce aux sucres produits par la photosynthèse des micro-algues hébergées dans ses tissus. Il n’a pas besoin de système digestif fonctionnel.

  • Bénéfices pour les algues : Elles bénéficient d’un habitat protégé à l’intérieur du ver et d’une mobilité accrue, ce qui leur permet de mieux capter la lumière nécessaire à la photosynthèse.

Dans le commensalisme, un organisme bénéficie de l’autre sans l’affecter significativement (positivement ou négativement). Ici, les deux partenaires tirent un avantage clair et essentiel, ce qui en fait une relation symbiotique mutualiste endocellulaire.

3. Reproduction

Les vers de Roscoff sont hermaphrodites, possédant à la fois des organes reproducteurs mâles et femelles. Leur reproduction peut être sexuée, par fécondation croisée, mais aussi asexuée par scissiparité, leur permettant ainsi de se multiplier rapidement dans des conditions favorables.

La fécondation chez les vers de Roscoff (Symsagittifera roscoffensis) est interne.

Bien que hermaphrodite, le ver de Roscoff ne s'autoféconde pas : il doit s'accoupler avec un partenaire pour se reproduire. Les spermatozoïdes matures sont produits à l'extrémité postérieure de l'animal. Les ovocytes sont fécondés par les spermatozoïdes des partenaires qui sont stockés, après accouplement, dans une spermathèque. 

L'accouplement est d'autant plus particulier que les deux partenaires se transpercent mutuellement, et injectent sous l'épiderme de l'autre du sperme pour assurer la fécondation des ovules !

Après la fécondation, les œufs sont déposés dans le sable. Ils éclosent et donnent naissance à de jeunes vers, qui vont rapidement ingérer l'algue Tetraselmis convolutae pour assurer leur survie.

Ce mode de reproduction assure une protection des gamètes avant la ponte, augmentant ainsi les chances de survie des embryons dans l’environnement marin. 😊

4. Déplacement des vers de Roscoff

Les vers de Roscoff se déplacent principalement grâce à deux mécanismes :

  1. Le glissement ciliaire :

    • Leur corps est recouvert de cils vibratiles, de minuscules structures mobiles qui battent en continu.

    • Ces cils permettent au ver de se déplacer en douceur sur le sable ou les algues, un peu comme une planche de surf sur l'eau.

  2. Les mouvements musculaires :

    • Même s’ils n’ont pas un squelette, ils possèdent des muscles longitudinaux et circulaires.

    • Ces muscles leur permettent de se contracter et de s’étirer légèrement, facilitant leur mouvement sur le substrat.

Le statocyste situé au centre et au niveau de la tête est un organe sensoriel essentiel chez le ver de Roscoff (Symsagittifera roscoffensis), jouant un rôle dans son équilibre et son orientation.

C'est une structure sphérique remplie de liquide, contenant une petite particule minérale appelée statolithe. Il fonctionne comme un détecteur de gravité, permettant au ver de percevoir sa position par rapport au substrat.

Rôle du statocyste chez le ver de Roscoff

  • Il aide le ver à maintenir son orientation dans l’eau ou sur le substrat.
  • Grâce à lui, le ver peut réagir aux mouvements et aux changements de position, évitant ainsi de se retrouver à l’envers.
  • Il est essentiel pour son mode de vie benthique et phototactique : ces vers recherchent activement la lumière pour optimiser la photosynthèse de leurs algues symbiotiques.

    Ce système est similaire à celui retrouvé chez d'autres invertébrés marins, comme certains mollusques ou méduses et groseilles de mer (voir l'article sur ce Blog), qui utilisent aussi des statocystes pour leur équilibre. 

    Ils peuvent ainsi se déplacer activement sur le fond marin, notamment dans les flaques de marée où ils vivent. Ce mode de déplacement est essentiel pour s’exposer à la lumière et optimiser leur photosynthèse !

    5. Répartition géographique mondiale

    Symsagittifera roscoffensis est principalement présent sur les côtes de l'Atlantique Nord-Est, notamment en Bretagne, en Normandie et jusqu'aux îles Anglo-Normandes. Les vers affectionnent les zones intertidales sableuses ou rocheuses, où l'eau reste suffisamment transparente pour permettre la photosynthèse.


    Comment expliquer cette stricte répartition géographique mondiale  des vers de Roscoff ?

    La répartition géographique stricte des vers de Roscoff (Symsagittifera roscoffensis) est déterminée par plusieurs facteurs environnementaux et biologiques, notamment :

    . Température et conditions océaniques

    • Ces vers sont adaptés aux eaux tempérées de l’Atlantique nord-est (principalement entre 10°C et 20°C).
    • À l’inverse, dans les zones trop chaudes, la température élevée et l’ensoleillement excessif pourraient perturber l’équilibre de la symbiose.

    . Type de substrat

    • Ils vivent exclusivement dans les sédiments sableux fins, en zone intertidale.
    • Les côtes plus rocheuses ou composées de sables différents, peuvent limiter leur implantation.

    . Disponibilité de la symbiose algale

    • Tetraselmis convolutae, l’algue symbiotique des vers de Roscoff, est indispensable à leur survie.
    • Cette algue est elle-même limitée par des facteurs écologiques spécifiques (salinité, température, ensoleillement).
    • Si l’algue ne peut pas s’installer dans un environnement donné, le ver ne peut pas non plus s’y établir.
    • L’algue a une répartition très restreinte, car elle dépend étroitement du ver de Roscoff et des conditions côtières spécifiques. Elle est donc quasi exclusivement limitée aux côtes atlantiques européennes tempérées.

    . Courants marins et dispersion limitée

    • Les vers de Roscoff ont un cycle de vie sans larve pélagique (ils ne nagent pas librement en pleine mer comme certaines espèces).
    • Leur dispersion dépend principalement des courants côtiers et du déplacement des sédiments.
    • Contrairement à certaines espèces qui ont des larves planctoniques capables de voyager sur de longues distances, leur mode de reproduction asexué et leur faible mobilité limitent leur expansion.

    . Facteurs historiques et évolutifs

    • Leur distribution reflète probablement l’histoire de leur évolution et la glaciation du Pléistocène, qui a modifié la répartition des écosystèmes côtiers en Europe.
    • Ils auraient recolonisé les côtes après la dernière glaciation, mais uniquement dans des zones où les conditions restaient favorables.
    En résumé, la dépendance symbiotique avec la micro-algue, les facteurs écologiques (température, substrat, symbiose), la dispersion limitée et l’histoire évolutive expliquent pourquoi les vers de Roscoff sont strictement limités aux côtes atlantiques tempérées.

    6. Plancton ou pas plancton ?

    Le terme "plancton" désigne les organismes vivant en suspension dans l'eau et dépendant des courants pour se déplacer. Les vers de Roscoff sont-ils alors du plancton ? Pas tout à fait, car ils sont majoritairement benthiques (vivant sur le fond marin). Cependant, leurs stades larvaires sont planctoniques, se dispersant dans la colonne d'eau avant de s'installer sur le substrat. Ils occupent donc une position intermédiaire entre plancton et benthos.

    7. Intérêt écologique

    Les vers de Roscoff jouent un rôle essentiel dans les écosystèmes intertidaux. En recyclant les nutriments et en servant de nourriture à divers organismes marins, ils participent à l'équilibre biologique des zones côtières. Leur symbiose avec les algues illustre également l'importance des interactions entre différentes formes de vie.

  • Leur sensibilité aux variations de température, de salinité et de pollution en fait de bons bioindicateurs de la santé des zones intertidales.
  • Leur disparition  peut signaler des changements environnementaux (pollution, réchauffement climatique, acidification des océans).
  • 8. Intérêt pédagogique

    Les vers de Roscoff sont un excellent sujet d'étude en biologie marine. Leur mode de vie symbiotique permet d'aborder des thèmes variés tels que l'évolution, l'écologie et la photosynthèse (animale !).

    Ils sont souvent utilisés dans l'enseignement pour illustrer les relations mutualistes et l'adaptation des organismes à leur environnement.

    Un Biokit inventé par Xavier Bailly, ingénieur chercheur CNRS à la station biologique de Roscoff, était disponible dans le catalogue Jeulin, mais il semble avoir été retiré.

    Voici le lien vers une vidéo présentant une activité proposée en MPS en 2016 par une équipe de professeurs au lycée de l'Elorn à Landerneau (Finistère).

    Pour en savoir plus sur ce Kit : https://www.youtube.com/watch?v=CxRwUV3ZNtM

    Cette découverte des vers de Roscoff au Plat Gousset à Granville a été pour moi une expérience enrichissante, montrant que même les zones côtières familières réservent encore des surprises biologiques. Ces petits organismes, à la frontière entre monde animal et végétal, rappellent l'extraordinaire diversité du vivant et l'importance d'observer attentivement notre environnement.

    Je prévois revenir dans un prochain article sur leur intérêt pédagogique en collège et en lycée, et pourquoi pas en fin de primaire (cycle 3). Je rappelle que mon métier était enseignant en...SVT 😉



    En savoir plus sur les vers de Roscoff :

    . Le Site Web de Wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Symsagittifera_roscoffensis

    . Le site Web du Lycée d'Elorn et de ses élèves (option MPS en seconde) présente leur étude de la symbiose entre le ver plat de Roscoff (Symsagittifera roscoffensis) et la micro-algue (Tetraselmis convolutae) : https://www.svt-lycee-elorn.ovh/ver_roscoff.php

    On se lasse de tout, sauf d’apprendre…












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