L’étang de Beuvillers (1) :chronique d'une eutrophisation
Un étang à taille humaine, un terrain d’enquête idéal
C’est lors d’une simple sortie à vélo, à quelques kilomètres de Lisieux, que j’ai découvert l’étang deBeuvillers. Un plan d’eau discret, niché dans la campagne, typique du Pays d'Auge, à deux pas d'une rivière, l'Orbiquet. Discret,mais parfait pour une étude duplancton : accessible, de petite taille (environ 1200 à 1400 m²), facile à observer au fil des saisons et proche d'une école avec l'idée de sensibiliser des enfants à l'environnement.
Je ne le savais pas encore, mais cet étang allait devenir mon “laboratoire de proximité”, un lieu où comprendre à petite échelle les phénomènes qui peuvent bouleverser nos écosystèmes aquatiques.
L'étang de Beuvillers près de Lisieux (Calvados)
C'est le printemps, nous sommes le 22 mai 2025, je découvre pour la 1ère fois l'étang de Beuvillers, à proximité de l'école et d'un parc communal sportif. Les coassements des grenouilles, les nombreuses libellules sont des témoins de la bonne santé de cet écosystème.
Quel magnifique laboratoire naturel dans un joli cadre de verdure, bien entretenu !
Je n'ai pas avec moi mon matériel d'"explorateur" pour récolter du plancton, ce ne sera que partie remise...
L’étang en été : l’apparition d’un voile de "micro-algues"
Je retourne sur site, le 09/07/2025, quelque chose attire mon attention : la surface de l’eau prend une teinte verte, peu rassurante pour ce qui est de la qualité de l'eau.
L’étang est recouvert d’un voile léger, par endroits plus épais, qui flotte au gré du vent.
Par ailleurs, les grenouilles ne se font plus entendre et les libellules ont disparu...😞
Je prends plusieurs photos. Ce dépôt verdâtre, parfois visqueux n’était pas présent quelques semaines plus tôt.
Surface de l'étang de Beuvillers
Zoom sur la surface de l'étang
Les conditions étaient réunies :
fortes chaleurs,
eau peu profonde,
faible renouvellement,
nutriments apportés par le bassin versant,
stagnation…
Tout ce qu’il faut pour faire exploser la croissance de certains micro-organismes photosynthétiques, d'où le titre de l'article contenant le terme Eutrophisation : "forme naturelle de pollution qui se produit lorsque le milieu reçoit trop de matières nutritives assimilables par les algues ou bactéries et que celles-ci prolifèrent".
Pour tenter de comprendre, je prélève un peu d’eau à l'aide de mon filet 180 µm dans l'espoir de pouvoir identifier l'origine de ce film vert à la surface de l'eau de l'étang.
Je déverse le contenu du collecteur dans une bouteille pour l'observer à mon retour à l'aide de mon microscope favori, un Bresser Researcher LCD.
Echantillon issu de l'étang de Beuvillers (11/07/2025)
Microscope Bresser Researcher LCD (MO x40)
Une première observation au faible grossissement (x40) permet de mettre en évidence de nombreux petits filaments verdâtres, plus ou moins spiralés. S'agirait-il de bactéries (cyanobactéries) ?
Faible grossissement (MO x40)
Moyen grossissement (MO x100)
Fort grossissement (MO x400)
Fort grossissement (MO x600)
Au fort grossissement, apparaissent des filaments sous la forme de chaînes de cellules caractéristiques de cyanobactéries.
Un filament de cyanobactéries (MO x400)
Ces organismes, souvent appelés “algues bleues”, sont en réalité beaucoup plus anciens et robustes (voir les articles précédents sur le sujet des cyanobactéries). Certaines espèces peuvent produire des toxines, d’autres non, mais toutes apprécient la chaleur et l’eau stagnante.
Sans thermomètre, je ne peux pas quantifier le réchauffement de l’étang cet été. Pourtant, la présence des cyanobactéries en août ne laisse guère de doute : la température de l’eau a atteint un seuil favorable à leur prolifération.
De nombreuses recherches sur Internet me permettent peut-être d'identifier le genre de cyanobactérie présent dans l'étang. S'agirait-il du genre Dolichospermum(ancien Anabaena) ? Cela semble assez probable, sachant que l'on reste modestement au niveau du genre. Pour determiner l'espèce, une analyse ADN s'imposerait, mais là, c'est un autre domaine...Celui de la génétique...
Anabaena survit dans un étang en répartissant les tâches essentielles entre ses 3 sortes de cellules : les cellules végétatives s'occupent de l'énergie (photosynthèse), les hétérocystes gèrent les nutriments (fixation de l'azote), et les akinètes assurent la survie (résistance).
Plancton associé : survivants de l'été chaud
Même en pleine prolifération cyanobactérienne, d'autres micro-organismes persistent.
Une vidéo d'une minute pour rendre compte de cette vie aquatique que la prolifération de cyanobactéries ne semble pas trop affecter.
La vie planctonique de l'étang dans une goutte d'eau (MO x100)
En balayant la lame et la goutte d'eau sur la platine du microscope, on peut observer en plus des cyanobactéries, des rotifères (un individu dont je suis le déplacement), copépodes pour le zooplancton; diatomées en rosettes (Asterionella sp. ??), volvox, euglènes pour le phytoplancton...
Rotifère (MO x100)
Rotifère, cyanobactérie et chlorelle ? (MO x100)
Copépode (MO x100)
Quelles peuvent être les conséquences d'une eutrophisation ?
L’eutrophisation correspond à un excès de nutriments dans l’eau, qui, avec une température élevée, provoque une prolifération rapide de micro-organismes. Cette surproduction rend l’eau trouble, limite la pénétration de la lumière et perturbe toute la vie aquatique. En se décomposant, ces algues consomment beaucoup d’oxygène, entraînant parfois des épisodes d’hypoxie* qui peuvent provoquer la mort des poissons et de nombreuses espèces sensibles. À cela s’ajoutent des risques sanitaires lorsque des cyanobactéries toxiques se développent.
L’écosystème s’appauvrit, la qualité de l’eau se dégrade et l’étang peut basculer vers un état durablement altéré.
Hypoxie* : diminution du taux de dioxygène dans l'eau.
⚠️ Le 22/07/2025, je décide d'appeler la mairie de Beuvillers pour alerter de la contamination de l'étang municipal par les cyanobactéries. La secrétaire me répond qu'elle transmettra l'information à M. le Maire de la commune.
Un phénomène régional : Beuvillers et Pont-l’Évêque, même combat ?
Un peu plus tard, fin août, j'apprendrai que, à quelques kilomètres de Beuvillers,le lac de Pont-l’Évêqueétait fermé le 18 juillet à la baignade en raison d’un épisode de cyanobactéries.
"La ville de Pont-l’Évêque a le regret d’informer nos chers estivants que nous sommes dans l’obligation de fermer momentanément la baignade et les activités nautiques avec immersion ou risque d’immersion (les activités sans immersions restent possibles : canoé, jet-ski … ) du Lac de Pont-l’Évêque en raison de la présence de cyanobactéries. Comme vous le savez, nous sommes très attachés à la qualité de nos eaux pour le bien-être de toutes et tous et sommes à ce titre en lien très étroit avec l’Agence régionale de santé pour nous assurer de l’état sanitaire du site."
S’agit-il de la même espèce de cyanobactérie ? Peut-être. Difficile de l’affirmer sans analyses génétiques, mais les cyanobactéries du genre Dolichospermum (ancien Anabaena) sont très fréquentes dans les eaux calmes normandes.
Une eutrophisation liée au changement climatique ?
Des recherches de données climatiques régionales récentes m'ont semblé intéressantes pour tenter de confirmer l'hypothèse d'un lien de cause à effet entre une augmentation significative de la température avec la prolifération des cyanobactéries. Voici quelques unes de ces données avec leur source.
Voici quelques données choisies (les données les plus récentes sont de 2023) :
Graphique présenté en introduction dans le rapport du GIEC normand
Ce graphique montre comment le climat de la région a déjà changé et comment il pourrait évoluer au cours du siècle. On y voit d’abord l’augmentation progressive des températures depuis les années 1970 : une tendance lente au début, puis nettement plus marquée ces dernières décennies. La partie colorée du graphique propose ensuite deux trajectoires possibles pour l’avenir : en vert, un scénario plus optimiste où les émissions mondiales diminuent fortement ; en rouge, un scénario plus pessimiste où elles continuent d’augmenter. Dans ce dernier cas, la Normandie pourrait connaître jusqu’à +4°C d’ici 2100, avec des étés plus chauds et des phénomènes extrêmes plus fréquents.
Evolution de la température moyenne annuelle en Normandie entre 1970 et 2023, calculées à partir des 494 données points de grille régionaux. Données Safran Isba, Météo-France (réalisation O. Cantat)
Le graphique ci-dessus montre comment la température moyenne annuelle en Normandie a augmenté depuis 1970. La courbe rouge, qui relie chaque année, révèle une forte variabilité d’une année à l’autre, mais la tendance générale (indiquée par la ligne pointillée) est sans équivoque : la région s’est réchauffée d’environ +1,8 °C en cinquante ans. Autrement dit, le réchauffement climatique n’est plus une projection : il est déjà visible dans les températures normandes.
Le GIEC normand n'a pas encore publié les données les plus récentes (2024 à 2025), cependant, on parvient à obtenir des informations sous la forme d'anomalies pour 2024 auprès de Météo-France :
Données régionales de 2024 (Source : Météo-France)
La Normandie 2024 s’inscrit pleinement dans la dynamique du changement climatique, avec un climat globalement plus chaud (avec une anomalie de +0,8 °C par rapport à la période de référence 1991-2020) et un régime de pluies un peu plus marqué que la normale.
Une situation qui peut avoir des effets très concrets sur les milieux naturels, notammment sur les risques d'une prolifération de cyanobactéries.
Données nationales de 2025 (Source : Météo-France)
Avec un mois de juin extrêmement chaud (+ 3,3 °C par rapport à la normale) et des mois de juillet et d’août plus chauds que la normale (anomalies respectives de + 0,9 °C et + 1,4 °C), l’été 2025 est le 3e été le plus chaud depuis le début des mesures en 1900 avec une température moyenne de 22,2 °C et une anomalie de + 1,9 °C, derrière les étés 2003 (+ 2,7 °C) et 2022 (+ 2,3 °C). Il s’agit du 4e été consécutif très chaud (2022, 2023, 2024 et 2025). Les 10 étés les plus chauds ont tous eu lieu après 2000, s'inscrivant dans la tendance des étés de plus en plus chauds qui amplifient les phénomènesd'eutrophisation.
Conclusion : ce que révèle l'étang de Beuvillers
L’été 2025 aura agi comme un révélateur : l’étang de Beuvillers, discret, a montré combien un écosystème peut basculer rapidement sous l’effet combiné de la chaleur, du manque d’eau et des apports nutritifs en excès. Le bloom bactérien observé, la perte de transparence de l’eau racontent la même histoire : celle d’un milieu en déséquilibre en lien avec les données régionales qui montrent une augmentation de la température qui se poursuit depuis longtemps, inexorablement...
Les conséquences peuvent être environnementales (appauvrissement du mileu, de la biodiversité), mais aussi sanitaires (cyanobactéries productrices de toxines).
Mais cette chronique d’une eutrophisation n’est pas une fatalité. Avec l’automne, les premières observations montreront des signes encourageants : un retour progressif de la diversité planctonique, une eau plus claire, des dynamiques biologiques qui repartent.😊
C’est justement ce que je vous propose de découvrir dans le prochain article : la résilience de l’étang. À travers des vues de terrain et des images au microscope, nous verrons comment ce petit écosystème, malmené en été, retrouve peu à peu son souffle. Une histoire d’équilibre… et d’espoir.
Je manque encore de recul sur cette enquête, et il faudra poursuivre la surveillance de ce petit laboratoire naturel. Mon souhait est aussi de le faire découvrir au public (scolaires comme adultes, Beuvillersois et Beuvillersoises et d'ailleurs) afin de sensibiliser chacun aux enjeux du développement durable et d’encourager une attitude véritablement écocitoyenne.
Sensibiliser pour préserver...
On se lasse de tout, sauf d’apprendre...
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